J’aime les gourmands, chocolat sur les joues,

Les cheveux ébouriffés, les ongles un peu rongés,

Les danseurs maladroits, les chanteurs de café,

Les boutons décousus et les bleus sur les genoux.

Les dessins malhabiles, émouvants gribouillages,

Les blagues Carambar, tatouages Malabar

Les rencontres impromptues dans une voiture bar

D’un train qui va trop vite pour voir le paysage.

J’aime le cacao jusqu’à l’écœurement,

Les caramel trop durs, ceux qui cassent les dents

Le brulé des casseroles, et les miettes de croissants

(même dans ma voiture ou sur mes vêtements).

Le vin dans des gobelets, et les chips en sachet

Trempés avec les doigts dans la sauce andalouse

Partagés au pied levé sur un bout de pelouse

Pendant qu’à la radio passe Gérard Manset

Et ces kilos en trop dont on ne sait que faire

Cheveux roux, trop malingre, trop petit ou trop grand

Suscitent les moqueries du peuple adolescent

Enlacer, consoler, rassurer, rendre fier…

J’aime les lacs de montagne, les villages haut-perchés,

Petites rues banales dans un quartier tranquille

Sites anonymes, inconnus des édiles

Endroits simples et désuets, empreints d’humanité.

Les marques de l’oreiller sur ta joue au réveil

Quelques épis rebelles, regard dans le brouillard

Souffle endormi et tiède, et ta main qui s’égare

Petits matins trop courts que l’horloge surveille.

Les larmes au coin des yeux, d’émotion ou de peine

Et la main amie qui étreint tendrement.

Le sourire complice qu’échangent les amants

S’envoyant en silence des baisers par centaines.

Les mots qui ne viennent pas ou à mauvais escient

Qu’on aurait voulu dire mais qu’on n’a pas osé,

Trop-plein d’émotion qui rend bête et muet

Bafouillages, bégaiement, drôles balbutiements.

J’aime ce qui est bancal, qui ne tient pas très bien

Qu’il faut souvent remettre, réparer, ravauder,

Mais dont l’imperfection rassurante permet

D’aimer finalement n’être sublime en rien.

Les fleurs sauvages qui valsent sous la piquante brise

Et les arbres tordus par les caprices du temps

Les vagues qui se brisent, écume dans le vent

Posant un gout de sel sur tes lèvres exquises.

Les chemins sinueux traversant les forêts

Remplis de creux, de bosses et de cailloux pointus

Qui laissent en souvenir à mes mollets fourbus

D’âpres courbatures et des griffures rosées

J’aime les verres à moutarde et les nappes à carreaux

Les livres oubliés, aux pages écornées

Les tables poussiéreuses, assiettes délaissées

Et sur la cheminée, un tas de vieux journaux

Les tablées animées, tribunes familiales

On crie, on gueule, on chiale et on rigole aussi

On fourchette hardiment le plat de spaghetti

C’est comme du théâtre, mais en plus convivial.

Ce que j’aime en ce monde c’est sa fragilité

Les ratés, les glissades et les trébuchements

Qui rendent l’homme et les choses vrais et attendrissants

Et qui font la vie belle dans sa simplicité.

Petites choses de rien s’égrainent en chapelet

Perles de couleur tendres enfilées patiemment

Forment un long collier aux reflets ondoyants

Que j’offre en trésor aux hommes imparfaits.

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